
dossiers
la compétition
le dopage - témoignages et articles
Un coup au moral
Jean Paul Stephan
12 août 2002
Jeudi 08 août, un mail d'un ami. En passant, il me conseille la
lecture du dernier N° de Science et Avenir, ça parle de dopage
et ça le dégoûte
Finalement, après avoir lu ce dossier, je me demande pourquoi continuer
à écrire sur le sujet, ça me sape le moral pour pas
grand-chose
peut-être. Mais comment rester indifférent
à l'histoire d'un sport qu'on a toujours aimé, qui fait
partie des choses qui donnent du sens à ma vie?
Il faut dire que ce N° de Science et Avenir d'août 2002 est
plus qu'alarmant. Malgré l'appellation du magazine, il tend plutôt
à montrer que le sport n'a pas d'avenir
ça me rappelle
une déclaration de Jacques Piasenta, il y a deux ans, qui disait
qu'"ils"allaient y arriver à faire des coureurs avec
des jambes de 3 mètres"
Christian Bénézis,
médecin du sport à Montpellier: "Il y a encore quelques
années, au départ d'un 100 mètres, la poussée
était de 800kg. Aujourd'hui, au coup de starter, la première
foulée, c'est deux tonnes!"
Les auteurs du dossier montrent que les premiers athlètes génétiquement
modifiés devraient concourir lors des jeux olympiques de 2008.
Ils parlent même d'un grand champion cycliste actuel qui aurait
déjà accepté une modification génétique
(sans dire son nom). Ils sont crédibles dans la mesure où
ils rappellent qu'en 1988 ils avaient été les premiers à
dénoncer l'utilisation de l' EPO dans les milieux sportifs, et
qu'à cette époque ils avaient été critiqués
pour ça. Ils parlent maintenant de la possibilité de greffer
du cartilage, de faire en sorte que l'organisme fabrique des fibres lentes
ou rapides en fonction des besoins, qu'il produise lui-même plus
d'EPO (érythropoïétine)
les résultas sportifs
appartiennent actuellement aux biochimistes, il vont bientôt être
du ressort des généticiens.
Certaines parties du dossier montrent que la lutte devient de plus en
plus complexe et que beaucoup de chercheurs, y compris chez ceux qui oeuvrent
contre le dopage, ont tendance à ne plus croire en leur lutte.
Ils admettent que parfois eux-mêmes connaissent moins bien les effets
des produits dopants que les sportifs qui en sont coutumiers. Citation
d'Antoine Vayer à ce propos: "Les vrais experts, ce sont les
sportifs qui ont "boosté" leur taux hématocrite
jusqu'à 65%. Aucun scientifique bardé de diplômes
n'est capable d'en décrire les effets, car eux n'ont pas droit
à de telles expérimentations". Quelques pages centrées
sur l'analyse de courbes de performances récentes montrent que
les cyclistes de haut-niveau ont un cur très "ralenti"
c'est
Antoine Vayer qui s'y colle.
Les informations concernant les grandes équipes cyclistes professionnelles
font froid dans le dos. Elle disposent de leur propre système de
contrôle par laboratoires, plus discret que les centrifugeuses qui
traînaient dans les chambres d'hôtels il y a quelques années.
Le soir d'une étape, des échantillons sont envoyés
par transport express à un laboratoire privé. "Les
machines tournent toute la nuit, et à 5h du matin ils savent comment
ajuster leurs dosages". No comment
ce n'est pas n'importe qui
qui affirme ça, c'est Marie-Florence Grenier-Loustalot, directrice
du Service Central d'Analyses du CNRS, organisme de référence
s'il en est.
La même scientifique s'avoue aussi dépassée par la
méthode des micro-dosages: "Avec le micro-dosage, on est battu.
Tout ce que je pourrai dire pour ce genre d'analyse, c'est qu'il y a des
traces. Une affirmation insuffisante, qui ne constitue pas une preuve
solide. Tout est détectable mais il y a des limites de doses et
de machines". Avis confirmé au sein d'un rapport d'expertise
du CNRS qui concluait son chapitre détection par ce constat: "D'année
en année, le développement inflationniste des listes de
substances proscrites nécessite de la part des chercheurs une activité
permanente pour mettre au point et/ou améliorer les méthodes
de détection. Cette mission est devenue presque "irréelle".
C'est pourtant le CNRS qui parle!
En outre, certaines parties du dossier montrent que les tentatives d'actions
préventives, comme le suivi médical longitudinal, ne fonctionnent
pas comme elles le devraient. Et même lorsqu'elles fonctionnent,
les scientifiques en sont réduits au rôle d'observateurs
impuissants. Écoutons Gérard Dine: "Dans cette relation
patient - médecin, lorsque nous évoquons avec le sportif
un bilan anormal, il y a deux scenarii possibles. Soit il a peur pour
s santé et il raconte ce qu'il prend, donc on peut l'aider. Sinon,
quand il est très bien renseigné, il ne dit rien. Et là,
on est démuni". Par exemple lorsque l'analyste constate des
taux exorbitants de fer dans le sang du sportif. On sait que la prise
de fer est nécessaire pour que l'EPO puisse faire son effet
Heureusement, de temps en temps, les tricheurs se font surprendre. Témoin
cette réflexion sur l'inflation de contrôles positifs à
la nandrolone, où un scientifique explique qu'il peut y avoir relargage
du produit plusieurs années après sa consommation, notamment
après une cure d'amaigrissement, car le produit est très
lipophile (il vient se stocker dans le tissu adipeux).
Bien sûr, certains risques sont évoqués dans le dossier
(et non des moindres: cancers notamment, voir la recrudescence de cancers
des testicules relevés par des observateurs suédois qui
ont pu suivre le devenir de sportifs lourdement dopés), mais l'histoire
montre que d'une part les sportifs les plus motivés n'en ont cure,
et que d'autre part les procédés de dopage sont de plus
en plus encadrés par des médecins, ce qui minimise (ou donne
l'impression de minimiser) les risques.
La prise de conscience des risques est d'autant moindre dans certains
sports que, comme le dit Bruno Roussel: "Chez les anciens, le dopage,
c'était une culture partagée sans aucun sentiment de culpabilité.
Comment vouloir que des jeunes aient une prise de conscience par rapport
à ce problème?".
Bref, ce N° d'août 2002 de Science et Avenir est alarmant, si
ce qu'il dit s'avère vrai, c'est la fin d'une quelconque signification
du sport de compétition. Les sportifs auront gagné des secondes,
des kilos de muscles ou des centimètres de détente, mais
ils auront perdu la crédibilité de leur pratique. Il faut
dire qu'avec le règne des additifs en tous genre dans le moindre
aliment, dentifrice, chewing-gum
c'est toute la société
qui pousse les gens à adopter une démarche dopante. À
ce train là, manger un fruit va bientôt sembler désuet,
pas assez "enrichi".
Dans son mail mon ami termine en me disant qu'il préfère
aller monter des cols à son rythme, pour son plaisir et un point
c'est tout. C'est sûr que c'est le summum. Mais il faut croire que
l'humain est compétitif dans l'âme, dans les gènes
peut-être.
Un autre passage alarmant du dossier parle d'ailleurs de la découverte
d'un gène de la performance qui permettrait un tri beaucoup plus
efficace et rapide des sportifs à des fins de détection
précoce
dans quelques décennies, lorsqu'on saura tout
de notre fonctionnement, il suffira d'analyser les caractéristiques
d'un individu pour savoir dans quelle branche l'orienter. Non, j'ai sous-estimé
le progrès: il suffira de donner les caractéristiques voulues
à un embryon
mais décidément, ça n'a
aucun sens, puisque tout l'intérêt du sport, c'est sa glorieuse
incertitude.
Je ne savais pas que le jour du championnat de France, j'allais me prendre
un bon vieux coup de bambou. Mais c'est ça qui donne du sel à
deux heures de
selle!
Jean Paul Stephan
12 août 2002
|
|
 |